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Préface de Michel Sitbon
Préface de Michel Sitbon (126.88 Ko)
Vingt ans après le génocide des Tutsi du Rwanda, son histoire se complète. On voudrait tout savoir ? On n’en est pas loin. L’enquête de Serge Farnel, à la suite d’African rights et de bien d’autres, propose de focaliser sur ce qu’on a appelé depuis vingt ans le ghetto de Varsovie des Tutsi.
On sait depuis vingt ans la lutte héroïque des Tutsi de Bisesero. On sait comment ils auront résisté du début du génocide jusqu’au grand massacre du 13 mai. Et on sait, maintenant, comment des soldats blancs, français, ont participé à l’horrible curée.
Cette information, largement recoupée, tarde à être prise en compte, y compris parmi ceux qui ne répugnent pas à dénoncer les responsabilités françaises. Ce degré, particulièrement inadmissible, serait inconcevable.
Mais n’est-ce pas l’ensemble de la participation française à l’horreur sans limites du génocide des Tutsi qui, à la base, est inconcevable ? Pourquoi la France est-elle ainsi incapable de se regarder ? Car on comprend que le crime absolu commis au Rwanda a bien des précédents, également impossibles à regarder pour la conscience collective, comme pour la justice ou même l’université.
On commémore, en même temps que le vingtième anniversaire du génocide commis à l’encontre des Tutsi, le centenaire d’une autre très sombre date : le déclenchement de la première guerre mondiale. J’ai entre les mains plusieurs publications de l’entre-deux guerres où étaient examinées rigoureusement les responsabilités françaises, concluant que « le problème des origines de la guerre est aujourd’hui résolu ». La démonstration n’était pas bien difficile : il est établi que la Russie a lancé la mobilisation générale de son armée avant les autres, et que l’Allemagne a demandé à la Russie de retenir cette action qui entraînerait la guerre.
Il est également connu qu’entre l’attentat de Sarajevo et la déclaration de la guerre, pendant que montait la tension, le Président de la République, Raymond Poincaré, accompagné du Président du Conseil, René Viviani, se sont rendus en Russie sur un imposant navire de guerre, non pour retenir la Russie de s’engager dans la guerre des Balkans au risque de déclencher la guerre mondiale, mais pour au contraire assurer celle-ci du soutien indéfectible français. Il s’agissait de récupérer l’Alsace et la Lorraine, et divers politiciens, diplomates et militaires français, oeuvreront en ce sens au fil des décennies, parmi lesquels Poincaré se distingue certainement par son action déterminée et décisive en 1914.
On se souvient que le traité de Versailles concluait à l’inverse aux responsabilités allemandes… Un siècle après, on préfère toujours escamoter cette petite irrégularité. Il est d’autant moins question de révision historique – sans parler des excuses qui s’imposeraient –, que l’information sur cette question bel et bien « résolue » au moins depuis les années trente – et en fait démontrée dès la publication des divers documents diplomatiques des Etats engagés dans le conflit –, cette connaissance élémentaire de l’Histoire, est en fait très loin de la conscience du public. Et ce normalement, puisqu’elle n’est pas prise en compte par les travaux historiques et encore moins par l’enseignement.
Parlant d’enseignement, on a pu s’alerter sur les manuels d’histoire aujourd’hui en usage dans nos écoles qui rendent compte du génocide des Tutsi de façon pour le moins superficielle sinon tendancieuse, allant jusqu’à confondre Hutu et Tutsi, un peu comme s’ils laissaient malencontreusement croire que les Allemands auraient été exterminés par les juifs… Manuels n’évoquant jamais – bien sûr… – ne serait-ce que l’hypothèse que le comportement français ait pu être critiquable.
On sait qu’il en est de même de l’essentiel des crimes coloniaux, passés à la trappe. Il y a douze ans, en 2002, on commémorait le bicentenaire du génocide de la Guadeloupe par les troupes de Napoléon. Sujet méconnu s’il en est. On parle de centaines de morts dans cette guerre pour le rétablissement de l’esclavage qui, comme en Haïti, s’avèrera extrêmement meurtrière. On connaît la geste de Toussaint-Louverture, et comment les troupes françaises finiront elles-mêmes décimées par la fièvre jaune, permettant qu’éclose la première des indépendances, la République noire de Dessalines. Mais en même temps que les Noirs triomphaient en Haïti, ils étaient écrasés en Guadeloupe, et s’il arrive qu’on parle de génocide, on n’en sait rien en fait, l’effroyable répression qui se produisit alors n’étant toujours pas étudiée sérieusement plus de deux siècles après. C’est aussi il y a plus de deux siècles que se produisait, pendant la révolution française, le génocide des Vendéens. Un historien, un seul, aura fini par plonger dans les archives pour reconstituer l’indiscutable crime commis alors sur ordre du Comité de salut public de Robespierre. Il a été l’objet de toutes sortes de polémiques absconses, mais en dépit de la documentation exhumée, la corporation des historiens semble préférer, là encore, ne pas voir. Epargnant au public d’avoir à prendre en compte une information aussi dérangeante.
S’il est facile de jeter la pierre aux historiens quand on parle d’il y a un ou deux siècles, on comprend bien que cette cécité repose sur bien d’autres complicités quand on regarde un crime comme la participation française au génocide des Tutsi.
D’abord, dès lors qu’il s’agit de participation directe, on enregistre l’énorme silence de soldats. Il semblerait que ce ne soit pas pour rien qu’en France on appelle l’armée la grande muette. Le phénomène est sidérant et échappe au sens commun des civils. Comment est-il donc possible, dans une démocratie où subsistent des principes de liberté d’expression, que jamais au grand jamais aucun soldat ne témoigne de l’horreur des crimes auxquels il participe ou dont il est simplement témoin ?
Nous ne pouvons que poser la question sans pour autant prétendre y répondre, et simplement enregistrer le fait qu’à travers la litanie des crimes coloniaux, dont la barbarie n’est certes pas fantasmée par les anticolonialistes, il n’y a pas de criminels repentis ou de témoins issus de la machine criminelle pour nous décrire l’horreur du point de vue de ceux qui la déchaînent.
On tente de se mettre à la place pourtant de ces hommes, souvent jeunes ou relativement jeunes, qui ont pu assister à l’effroyable boucherie du 13 mai 1994 à Bisesero. N’ont-ils vraiment aucun sentiment humain pour ne pas se révolter face à une telle saloperie que le massacre à coups de mortiers, d’armes automatiques et enfin de machettes, de femmes, d’enfants, de vieillards ou d’hommes valides, des civils quasiment désarmés, réfugiés dans des montagnes, faméliques, épuisés, tentant désespérément d’échapper à une extermination raciste ?
Il pourrait y avoir eu 50 000 morts ce jour-là.
Il va de soi que les quelques soldats français qui ont participé à ce sanglant carnage étaient des spécialistes triés sur le volet pour cette « opération spéciale » vraiment spéciale, des professionnels de la mort, pourrait-on dire, qui en avaient déjà vu d’autres… Or, il y a quelques mois, le journaliste Jean-François Dupaquier révélait que parmi ces soldats du 13 mai dont on ne sait rien, il y en aurait eu un pour avoir des états d’âme, et qu’il aurait en conséquence été assassiné peu après par des miliciens, avec la complicité tacite de ses camarades.
Ainsi, on aurait un début de réponse au silence de la grande muette : qui n’est pas content meurt. Il est plausible que la chose ne se produise pas si rarement, et que l’armée se soucie dans tous les cas de mettre les gêneurs hors d’état de gêner, y compris en procédant à leur élimination discrète, au besoin.
Mais le défaut de témoignages des acteurs du crime, le fait qu’il n’y en ait aucun pour s’auto-dénoncer ou dire ce qui a été fait par ses camarades, ne suffit pas à expliquer que nous-mêmes ayons tant de mal à regarder.
Les témoins de 1914 ne sont plus là, mais qui a envie de se poser sérieusement la question de la culpabilité de Poincaré, et de la scandaleuse inversion de l’accusation quand la responsabilité du déclenchement de la guerre a été attribué à l’Allemagne, alors que dès Sarajevo il ne s’est agi que de la mise en oeuvre d’un plan machiavélique des services russes et français pour aboutir à la guerre dans laquelle les Français avaient entrainé les Russes à très grand coût, grâce à une solide alliance cultivée pendant des décennies et achetée au prix faramineux des emprunts russes auxquels souscriront tant de simples citoyens le plus souvent conscients de contribuer ainsi, indirectement, à la défense nationale…
Pourquoi ne veut-on pas entendre des si nombreux témoins qui nous disent tous la même chose, avec une infinité de variantes correspondant à leurs situations multiples, mais qui dressent ce tableau, désormais assez complet, d’une intervention redoutablement efficace de spécialistes de la mort français pour parachever le génocide des Tutsi du Rwanda ?
De la même façon qu’il n’est toujours pas urgent de préciser ce qu’il s’est passé en 1793 en Vendée, en 1802 en Guadeloupe, en 1830 en Algérie, comme en 1914 ou sous l’occupation allemande de 1940 à 44, il ne serait pas opportun de regarder la réalité de ce que fut la participation active de la France à ce qu’on a pu appeler le « dernier génocide du XXème siècle ».
C’est que la vérité sur cette face noire des stratégies françaises est simplement incompatible avec la forme même de la conscience nationale, pays de la liberté, des droits de l’Homme, voie du milieu raisonnable entre le socialisme et le capitalisme...
Que la France incarne cette forme d’idéal si conforme au bon sens est universellement admis. Ce qui est ainsi accepté comme une banalité de base à l’étranger, se retrouve en France constitutif de la conscience nationale. Celle-ci ne peut facilement admettre que la révolution française, y compris sous le vertueux Robespierre, n’aurait pas seulement produit avec la Terreur quelques milliers de décapitations d’adversaires politiques réels ou supposés, mais l’extermination d’une partie de la population dans ces campagnes révoltées de l’ouest. Il y a là comme une montée insoutenable du degré de l’accusation contre la gauche jacobine. Qu’elle ait abusé de guillotine, on veut bien l’admettre et en débattre, l’assumer même dans cette tradition où le salut public justifie de mesures extraordinaires, y compris extraordinairement violentes. Mais le génocide des paysans vendéens, femmes et enfants compris bien sûr, l’extermination du groupe humain, comme dans la définition la plus stricte du génocide, voilà qui n’est pas compatible avec l’image construite de la Révolution française, et enseignée à l’école depuis tant de générations. Même en l’assumant, avouons qu’on ne sait où ranger cette information.
C’est qu’elle atteint la légitimité de l’Etat dans ses structures profondes. La férocité des soldats de Napoléon en Guadeloupe et en Haïti n’est pas plus compatible avec l’image laissée par celui qu’on peut voir même comme un tyran ou un chef militaire au bilan humain calamiteux, mais pas comme un génocidaire sauvage. De même, que le gentil Louis-Philippe soit un des monstres sanguinaires de l’histoire au regard du comportement de ses troupes en Algérie, ne correspond pas à l’image qu’il a laissée du roi débonnaire, au pire vu comme une poire. Et que dire de la bonne IIIème République du temps où elle inventait le droit d’association, séparait l’Eglise de l’Etat, innocentait Dreyfus, avec sa regrettée Belle époque… Comment ne pas admettre que la France, pays incarnant la république démocratique et l’idéal de liberté, ait été agressée par ces horribles soldats pourvus de casques à pointes, commandés par un empereur d’un autre âge ?
De même, comment pourrait-on admettre que François Mitterrand soit un criminel à aligner dans la liste qui va d’Enver Pacha à lui en passant par Hitler et Pol Pot… Lui, le héros de la gauche, l’homme qui a brisé la malédiction en vertu de laquelle la droite était restée aux manettes de la république gaulliste de 1958 à 1981, près d’un quart de siècle, une génération entière. Et s’il n’y avait que cet instant fondateur pour le mythe mitterrandien… Avec l’abolition de la peine de mort, et les diverses conquêtes sociales de la gauche ou sa politique culturelle, le rose domine même si l’ensemble du règne laisse forcément une image contrastée, émaillé de scandales plus ou moins digérés, jusqu’à sa filiation d’extrême-droite.
Qu’il se soit agi plutôt d’une affiliation toujours en vigueur, et que sa fidélité envers sa jeunesse aille au-delà d’amitiés conservées, c’est ce qu’on pourra comprendre, un peu tard, aux approches de la fin du règne, avec le génocide des Tutsi et, au même moment, le soutien à la politique de purification ethnique en Bosnie, mais c’est précisément ce qu’il est impossible d’assumer.
François Mitterrand laisse dans l’imaginaire la figure d’un humaniste subtil, incarnant la gauche, quasiment à l’égal d’un Blum ou d’un Jaurès, et ce en dépit de son parcours plus que louvoyant, typique d’un pur opportunisme, dont on s’étonne de découvrir qu’il ait pu être également fait de convictions profondes, telles qu’elles pouvaient l’entraîner à prendre la responsabilité d’un crime aussi effroyable que le génocide des Tutsi.
Une étude du corpus des idéologues aux sources de cette extrême-droite cagoularde et synarchiste aura permis de déchiffrer la pensée en actes qui structure ce qu’on a appelé la politique du génocide. Et l’on ne peut que constater que les racines idéologiques du crime sont en cohérence avec ses sources nazies comme vaticanes.
On aborde là encore un autre niveau de difficultés lorsqu’il s’agit de mettre en cause l’Eglise, et son centre politique, le Vatican. Car s’il est certain qu’il s’agit d’un génocide français, et que François Mitterrand en est le premier responsable, il est tout aussi avéré que ceci se sera fait, en même temps que la politique mise en oeuvre en ex-Yougoslavie, en harmonie complète avec le Vatican sous le pontificat de Jean-Paul II qui se superpose avec le règne de Mitterrand en France. En dépit du fait que le sujet ait pu déjà être documenté, il n’est pas du tout question aujourd’hui de mettre en cause les responsabilités de l’Eglise, dont l’ouverture des archives seule pourrait montrer l’étendue. Idem, quelle que soit l’image déplorable qu’on puisse avoir du pontificat réactionnaire de Jean-Paul II, on va avoir du mal à ranger ce saint-homme parmi les plus grands criminels de l’Histoire…
Lorsque l’examen des responsabilités historiques oblige à désigner celles d’Edouard Balladur comme non moins primordiales que celles de Mitterrand en raison du surcroit de pouvoir d’un premier ministre sous cohabitation, voilà qui n’est pas plus facile à concevoir. Si l’homme qui gouverna la France quelques années, de 1993 à 1997, n’a pas laissé un souvenir impérissable dans la mémoire collective, son nom n’est pas plus évocateur de violence que celui d’un autre politicien qui laissa une image de modéré, Valéry Giscard d’Estaing, président de la République de 1974 à 1981, et à ce titre responsable de l’engagement actif de l’armée française aux côtés de la dictature du général Videla en Argentine.
Qui penserait à traîner Giscard devant la Cour pénale internationale – ou plus simplement à le déférer devant les tribunaux français en vertu de la loi de compétence universelle qui permet de juger y compris à Paris des crimes contre l’humanité commis ailleurs…
De même personne n’aura reproché à Pierre Messmer sa politique de « pacification » du Cameroun avec ses centaines de milliers de victimes – politique dont il portait pourtant l’intégrale responsabilité pour l’avoir mise en place en tant qu’administrateur colonial de la IVème république finissante avant de la piloter du haut du ministère des armées du général de Gaulle qu’il occupera près de dix ans… Il est mort en paix, ayant même eu la coquetterie de publier des mémoires dans lesquelles il ne niait pas ses responsabilités, même s’il n’insistait pas sur l’étendue des crimes.
Ce n’est que l’année de sa mort, en 2007, que sera produit un documentaire critique reconstituant l’histoire de cette guerre oubliée dans lequel on voit le vieux serviteur de l’Etat témoigner, le timbre chevrotant, et revendiquer sa politique aux conséquences aussi effroyables que les moyens délibérément mis en oeuvre. Le ton martial qu’il se sent obligé de prendre pour revendiquer comment il avait décidé d’ « éliminer » Ruben Um Nyobe, le leader de l’UPC indépendantiste, donne froid dans le dos, mais il faut voir comment il dit du recours au napalm « c’est pas important… », en haussant les épaules. « Pas important », le napalm ? Non seulement utilisé copieusement, jusqu’à désertifier des parts entière du territoire, à perte de vue d’hélicoptère…, mais véritable expérience préliminaire à celle des Américains au Vietnam – dont on sait qu’ils ne manquèrent pas de conseillers français.
En conclusion de ce documentaire magistral – qui aura eu l’honneur de révéler le scoop de cette guerre coloniale un demi-siècle après, cinq décennies pendant lesquelles l’omerta sera restée complète… –, un observateur remarque combien, pour la France, « il ne s’est rien passé… » « Est-ce parce qu’il n’y a pas des hommes là-bas ? » dit l’auteur de ce mot de la fin : « les droits de l’Homme, c’est les droits de quels hommes en fait ? » Il s’étonnait de la « chape de plomb sur l’Afrique noire » qu’il constatait chez les personnes les mieux informées en France. « Motus. »
Lorsqu’en 1931 Gide revenait du Tchad en décrivant le scandale des brutalités coloniales, ses révélations profitaient de sa notoriété déjà installée et de ce qu’il n’avait pas trop de mal à se faire publier, en tant que fondateur de la NRF et de ce qu’on appellera les éditions Gallimard… Il y eut scandale à l’Assemblée, on fit mine de s’étonner, et une commission d’enquête fut même désignée. Albert Londres partira sans attendre pour vérifier ces informations – qu’il fera plus que confirmer dans son magnifique reportage résultant d’une expédition quasiment aussi longue que ne l’avait été celle de Gide. A son retour, le grand journaliste ne pourra que s’étonner de la froideur du public et de ses habituels admirateurs ou amis, les mêmes qui s’extasiaient à chacun de ses exploits. Lui dont les articles boostaient d’ordinaire les ventes, cette fois là faisait un flop…
Mutatis mutandis, Serge Farnel a fait une enquête à la base du présent ouvrage, publiée en 2012, dont les résultats sont connus depuis leur révélation dans le Wall street journal en 2010. Sur ses pas, Bruno Boudiguet est parti refaire l’enquête, comme en réaction au scepticisme généralisé accueillant la publication de huit cent pages constituées pour l’essentiel des retranscriptions d’interviews filmées de témoins de la participation de soldats blancs, désignés comme français, mitraillant les Tutsi après les avoir bombardés avec la redoutable efficacité de leurs tirs de mortiers.
Ces voix ne seraient pas audibles ? C’est parce qu’elles disent l’indicible, comme Renaud Scherer dit l’indicible vérité sur le génocide vendéen, comme Gustave Dupin disait celle sur Poincaré et la guerre, tout comme Gide et Londres dénonçant la construction du chemin de fer du Congo, en vain… Car l’indicible a cette particularité d’être également inaudible, même quand il est dit, car tout finit par se dire mais n’est toujours entendu. Serge Farnel s’est attaché à tout lire, tout savoir, sur les cent jours de Bisesero. Le résultat de ce travail, c’est le livre qu’on a dans les mains, l’histoire du « ghetto de Varsovie » des Tutsi du Rwanda, jour après jour, séquence par séquence, ce que l’auteur a voulu comme la reconstitution intégrale de l’ensemble de ce qu’on peut savoir sur ce qui s’est produit dans ces collines reculées du Rwanda, ce sombre printemps 1994. Une histoire totale, ou presque, constituée exclusivement de ce qui a été recueilli, par lui-même comme par Bruno Boudiguet après lui, ou par African rights ou la commission Mucyo avant lui, comme par les témoignages auprès du TPIR d’Arusha au fil des ans.
C’est cette imposante documentation constituée de milliers de pages qui aura ici été synthétisée en quelque sorte, pour produire ce récit saisissant, où l’on peut suivre le génocide pas à pas – et, pourrait-on presque dire, le revivre.
Michel Sitbon
Ecrivain et éditeur